A l’heure des salles de classes remplies de tableaux multimédias et de tablettes, découvrez pourquoi les cadres des sociétés de la Silicon Valley préfèrent mettre leurs enfants dans des écoles Waldorf-Steiner qui mettent en avant les activités du monde réel et n’utilisent les moyens électroniques que lorsque les enfants ont atteint l’adolescence.
La conférence est donnée par Christophe Wagnière, président de l’Ecole Rudolf Steiner d’Yverdon-les-Bains. Après avoir découvert le web en 1993 à l’EPFL, Christophe Wagnière fonda sa première start-up web en 1996 avec des amis étudiants. Depuis, il navigue dans le monde des technologies avec un souci particulier pour la formation des futures générations. Il assuma des postes importants et stratégiques dans de nombreuses entreprises romandes et internationales : responsable du développement e-banking pour les banques cantonales romandes, évangélisateur des méthodes objets dans l’une des principales sociétés informatiques romandes, manager chez IBM, architecte des Systèmes d’Information à la Banque Cantonale Vaudoise et maintenant Urbaniste des S.I. à la HES-SO. En parallèle, il s’investit dans l’éducation au travers de cours de préparation aux brevets et diplômes fédéraux en informatique, équivalents des Bachelors et Masters dans la formation en cours d’emploi et, depuis sept ans, dans de la pédagogie Waldorf-Steiner au sein de l’Ecole Rudolf Steiner d’Yverdon. Depuis une année, il anime différentes conférences publiques et privées sur ces différentes thématiques.
Quelles sont les compétences que recherchent les entreprises de la révolution numérique ?
A la pointe de la révolution pédagogique de la Silicon Valley, l’école Waldorf-Steiner de Peninsula, aux portes de Palo Alto, explique très clairement dans une vidéo (Preparing for Life : http://waldorfpeninsula.org/about-us/film/) quelles sont les attentes des entreprises de la révolution numérique.
Pour faire simple, les entreprises de demain recherchent des collaborateurs qui ont développé des compétences de travail en équipe, de socialisation, la curiosité, la créativité, la résistance, l’adaptation aux changements, la capacité d’apprendre par soi-même, la capacité de réaliser des projets, le potentiel de résoudre des problèmes inconnus.
Le mot d’ordre est la capacité à gérer le changement, à inventer l’avenir et à dépasser les schémas du passé. Les entreprises leader du secteur numérique, comme IBM, Google ou Apple, forme leurs cadres sur les méthodes de management moderne. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces méthodes sont très proches des pédagogies dites actives nées au début du XXème siècle.
Quelles sont les compétences développées au sein des écoles Waldorf-Steiner ?
De nombreuses études internationales (Shankland 2007 – Finkelmeyer 2001 – Baldwin, Gerwin et Mitchell, 2005 – Dahlin, Langmann et Anderson, 2004 – Ogletree 1998) ont permis de définir les compétences développées par les élèves des écoles Waldorf-Steiner dans les différents pays où cette pédagogie c’est développée depuis un siècle. Ces études se basent pour la plupart sur des analyses comparatives des élèves à la fin de la scolarité, lors du passage dans les hautes écoles universitaires et une fois entrés dans le monde du travail.
Parmi ces compétences, en comparaison avec les écoles traditionnelles, nous pouvons relever qu’en moyenne, les enfants qui sortent des écoles Waldorf-Steiner ont une plus grande confiance en eux (24% contre 13%[i]), mais surtout une très forte confiance en l’avenir (38% contre 3%) qui s’expliquent par l’enracinement des enfants dans les différentes spiritualités du monde, par l’importance de la découverte des différentes mythologies et civilisations et le respect des croyances des uns et des autres.
La curiosité intellectuelle (42% contre 10%), le plaisir d’apprendre (33% contre 19%), l’ouverture d’esprit (56% contre 23%) et la créativité (44% contre 2%) sont les compétences clés qui répondent aujourd’hui à des entreprises qui visent l’innovation afin d’accompagner la révolution numérique qui nous submerge.
Nous n’avons pas besoin d’enfants qui sont prêts à répéter les règles du passés, qui connaissent par cœur les grandes étapes de l’histoire et les règles de grammaires, mais d’enfants qui comprennent le monde, qui croient en l’avenir, qui sont prêts à inventer le monde de demain, un monde qui n’existe ni aujourd’hui, ni hier. Comme le disent nos enseignants, nous ne sommes pas là pour expliquer aux enfants comment fonctionne le monde d’aujourd’hui, mais pour leur permettre d’inventer le monde de demain.
Est-ce une bonne idée de protéger les enfants de la réalité du monde réel ?
Dans les écoles Waldorf-Steiner, nous laissons les enfants vivre dans un monde d’enfant. En effet, nous autres adultes, savons bien que si nous ne profitons pas de cette innocence lors de notre enfance, nous n’aurons plus l’occasion de pouvoir en profiter. Laissons les enfants vivre les aventures de leur âge, n’allons pas trop vite dans les explications d’adultes, laissons-les croire aux fées, Père Noël et autres contes pour enfants. Ils sauront bien assez vite que le monde n’est pas aussi simple que cela.
Est-ce une bonne idée de mettre les enfants dans un cocon et de ne pas leur montrer la complexité du monde réel ? Nous avons régulièrement des craintes des parents sur la difficulté qu’auraient les enfants à trouver leur place dans le monde réel à la sortie d’une école Waldorf-Steiner.
Lorsque nous analysons les résultats des élèves des écoles Waldorf-Steiner lors de l’arrivée dans les hautes écoles universitaires, nous réalisons combien ces craintes sont loin de la réalité. Nous avons affaire à des étudiants qui ont l’habitude de prendre leurs responsabilités, de gérer leurs notes de cours, de gérer un réseau de relation afin d’éviter de se retrouver isolé. D’ailleurs les résultats des étudiants des écoles Waldorf-Steiner sont globalement meilleurs lors du passage à l’Université que les élèves des écoles publiques. Mais ce qui est le plus impressionnant, c’est que, dans un pays qui met en avant son système dual, les élèves des écoles Steiner, qui ne connaissent ni notes, ni redoublement, ni orientations, privilégient les métiers artistiques, médico-sociaux et artisanaux comme un choix et non une voie contrainte. En effet, les anciens élèves choisissent très souvent des métiers par intérêt et non par obligation. De plus, les choix sont beaucoup plus variés que pour les élèves du secteur public, notamment avec une forte proportion dans les métiers artistiques (23%), sociales et médicales (23%) et de l’artisanat (15%). Soit des métiers qui ne sont pas connus pour être des voies faciles.
Ces enfants que nous pourrions croire protégés par un cocon, choisissent après plusieurs stages, des métiers difficiles, qui les amènent le plus souvent à faire face aux problèmes du monde. Ils sont très bien intégrés dans la vie sociale et culturelle et génère un dynamisme fort dans des métiers qui nécessite un investissement personnel important.
Quelles sont les clés de cette réussite ?
Pourquoi la pédagogie Waldorf-Steiner permet-elle le développement de ces compétences ? Quelles sont les clés d’une telle réussite ?
La réponse tient en trois éléments :
- Le respect des rythmes des enfants
- Un enseignement orienté projets
- Une pédagogie qui équilibre les compétences pratiques, artistiques et intellectuelles
Nous savons tous qu’il y a des moments où nous n’avançons pas malgré tous nos efforts, et d’autres moments où nous avons l’impression d’abattre une quantité de travail hallucinante. Nos enfants vivent la même chose et nous devons les laisser avancer à leur rythme. Même si l’enfant est assez souple pour apprendre coûte que coûte, la qualité de cet apprentissage n’est pas le même s’il est prêt à apprendre ou si nous le forçons à apprendre. Laisser les enfants avancer à leur rythme, c’est leur permettre d’apprendre en profondeur, avec envie et non de subir un apprentissage forcé.
Mais cela ne risque-t-il pas d’endormir les enfants ? Non, car les enfants aiment apprendre, aiment jouer, c’est le moteur de l’évolution de l’être humain et des enfants depuis la sortie du ventre de leur mère. Mais pour cela, il faut leur proposer des projets, car c’est ainsi que les enfants grandissent. Dès nos premiers pas, nous inventons des projets, nous construisons des cabanes, nous inventons des histoires… Il suffit de construire là-dessus pour donner l’envie aux enfants d’apprendre. Durant toute la scolarité, les enfants vivront de nombreux projets (cabanes, concerts, spectacles, découverte des métiers, exposés, stage professionnel, travail de diplôme, etc.). De plus, les matières seront abordées lors de période de 3 à 4 semaines durant lesquels les enfants pourront prendre le temps d’approfondir un sujet (écriture, calcul, dessin de forme, histoire, géographie, etc.), au lieu de zapper de sujet toutes les 45 minutes.
Mais les enfants ont des manières d’apprendre qui sont propre à leur personnalité. Certains apprennent lorsqu’on leur explique les choses de manière rationnelle et claire. D’autres ont besoin d’expérimenter les éléments. D’autres enfin, ont besoin de créer le monde dans lequel ils vivent pour le comprendre. Aborder la même matière (le calcul par exemple) de différentes manières (par la réflexion, par l’expérimentation, par la musique ou par le dessin) permet à tous les enfants de trouver la voie qui leur parle le mieux pour comprendre et non seulement apprendre par cœur.